Un jardin en trou de serrure

par absidea

Où mettre le tas de compost ? Trop près de la maison, il serait en concurrence avec le potager de proximité (celui des herbes et des salades) et il nuirait à l’esthétique visuelle (et parfois à l’esthétique olfactive). Trop loin de la maison, et on se retrouve avec des asticots dans la cuisine parce qu’on n’a pas eu le courage d’aller vider la poubelle de déchets verts au fond du jardin tous les jours.

Chez nous, le tas de compost a pas mal migré, mais il n’a toujours pas trouvé son emplacement idéal. Dernièrement, il était à côté du potager principal, dans un genre de kiosque de fortune en bambou pour que ça ne fasse pas trop moche. Mais c’était encore un peu difficile d’accès et ça commence à être un peu trop plein.

La solution que je m’apprête à tester nous vient d’Afrique. L’ONG Send-A-Cow qui l’y promeut l’a baptisée Keyhole Garden. C’est très différent du simple keyhole bed qu’on voit dans tous les bouquins de permaculture et dans lequel le trou central sert simplement à accéder à une butte qui mériterait plutôt d’être appelée butte en « fer-à-cheval ».

Le Keyhole Garden (jardin en trou de serrure – version africaine), c’est une butte bien plus haute et dans laquelle le trou central est un tas de compost. Essentiellement, la technique concentre au même endroit le tas de compost et le potager de proximité. On le construit au plus près de la cuisine, et on y vient pour jeter les épluchures et les restes, l’eau de vaisselle et d’autres eaux grises le cas échéant (mais pas le contenu des toilettes sèches). Et on y prend au passage quelque laitue ou quelque brin de ciboulette. Le tas de compost au centre de la butte dispense son humidité et ses nutriments à toute la communauté de plantes tout autour. Pas besoin de l’isoler du froid, pas besoin de le retourner.

Par l’intégration élégante des fonctions qu’il représente, m’est avis que ce keyhole garden a vocation à devenir un emblème de la permaculture, bien plus que la spirale d’herbes aromatiques.

Faire un keyhole garden – étape par étape

Note : je ne suis pas un expert – je me contente de traduire les consignes de l’ONG Send-a-Cow (video ici en anglais), en interprétant un peu. Toute suggestion d’amélioration est la bienvenue.

Délimiter un espace circulaire de 2m50 à 3m de diamètre, avec un rond central de 80cm à 1m de diamètre. Réserver un créneau pour l’accès au tas de compost (de préférence le secteur nord). Pas besoin de travailler le sol en-dessous – les bestioles s’en chargeront. S’il y a des mauvaises herbes, quelques cartons posés à même le sol constitueront une barrière.

Puis on bâtit le panier au centre pour contenir le tas de compost : j’ai planté huit piquets en bois que j’ai ensuite entourés de chutes de grillage. On peut aussi tresser des jeunes rameaux, ou bien planter carrément plus de piquets et les lier par de la ficelle. Je m’attends à ce que ça pourrisse au bout de quelques années : il sera toujours temps de replanter quelques piquets.

Ensuite on commence à bâtir le muret en pierres sèches qui entoure la butte. Des pierres, des briques – tout est bon tant que ça tient. L’intérêt majeur de la forme arrondie, c’est que les pierres se tiennent les unes les autres en faisant un léger effet de voûte, un peu à la manière des igloos, ce qui fait que le muret n’a pas besoin d’être très épais. Il suffit de l’incliner légèrement vers l’intérieur pour que le poids de la terre ne le fasse pas tomber.

A mesure qu’on monte les pierres, on monte le substrat, en alternant les couches et en arrosant régulièrement comme pour du compostage en couches, mais avec pas mal de terre pour faire du volume (on veut en effet monter d’environ 60cm). Voici une liste d’ingrédients, plus ou moins dans l’ordre du bas vers le haut :

  • pierres pour le drainage
  • cannettes de soda rouillées pour le fer
  • branchages pour aérer et encourager les champignons
  • fumier pour l’azote
  • terre de profondeur
  • paille pour aérer et augmenter la matière organique
  • cendre de bois pour le phosphore
  • feuilles fraîches pour attirer les lombrics
  • charbon de bois pilé pour la rétention d’eau et de nutriments
  • terre de surface
  • compost mûr en surface
  • paille pour pailler en surface

Dans ma version, faute de stocks de compost suffisamment mûr, c’est la terre qui représente l’essentiel du volume. Pour ne pas avoir de pierres ni de liseron, je ma suis mis en tête de tout tamiser. J’ai employé pour cela la technique du sommier incliné.

Noter qu’il vaut mieux remplir le tas de compost (j’ai rempli le premier tiers avec du fumier mélangé à de la paille) en même temps qu’on monte la butte, pour que le panier central ne subisse pas trop d’efforts ni dans un sens ni dans l’autre.

Noter qu’il faut beaucoup de pierres (le muret fait environ 10 mètres de long et 60cm de haut) et beaucoup de terre et/ou de compost (la butte fait près de 2 mètres cubes en volume, soit 20 brouettes de 100 litres à charrier).

Au final, ça m’a pris une dizaine d’heures pour tout faire (seul). Une bonne raison pour inviter des copains.

Quelques innovations

Comme je n’ai pas prévu de jeter d’eau de vaisselle pour l’instant, j’ai prévu l’irrigation. La forme en rond optimise la forme du goutte-à-goutte, puisqu’il suffit d’un cercle de tuyau et d’un té pour l’arrivée d’eau (laquelle se fait par l’intérieur, au niveau du muret du créneau d’accès (voir ci-dessous, étape 13).

Par ailleurs, je me suis dit qu’il serait bon de pouvoir accéder au compost par en-dessous des fois que le niveau du tas monte trop vite par rapport au pouvoir de recyclage des petites bêtes. J’ai donc prévu une grosse pierre au bas du muret du fond du créneau d’accès. En retirant la pierre, on pourra pelleter le compost mûr du dessous du tas.

Les plantations

On peut bien y planter ce que l’on veut, mais comme la butte est déjà assez haute, il n’est peut-être pas judicieux d’y mettre des plantes qui montent trop haut.

Sinon, l’idée est de profiter des micro-climats et des micro-terroirs :

  • au bord du mur pour les plantes qui aiment bien être au sec et dans un sol pas trop fertile
  • plus près du tas de compost pour celles qui aiment l’humidité et l’azote
  • côté Sud pour celles qui aiment la chaleur
  • côté Nord pour celles qui aiment être un peu à l’ombre des autres
  • près du bord pour celles qui ont tendance à vouloir déborder
  • entre les pierres du mur pour des plantes de rocaille
  • etc.

Pour l’instant, j’y ai mis : de la sauge, des oignons, du persil, du cerfeuil, de la coriandre, de l’aneth, des bettes à cardes rouges, du thym, de l’estragon, du basilic, des laitues. Certaines de ces plantes sont des rescapées de ma spirale d’herbes aromatiques, amenée à être finalement démontée car elle se retrouve au milieu du nouveau cheminement.

Quelques questions

La hauteur de la butte est prévue pour que le tas ait une hauteur suffisante. Ca fait une grosse hauteur de terre, qui permet à chaque plante de trouver à manger même quand on les plante très serrées comme avec l’approche biointensive.
Avec le muret en pierres, ça permet à la terre de se réchauffer tôt en saison et de rester réchauffée plus tard. Mais la grande hauteur accélère le dessèchement. Probablement qu’avec dix ou quinze litres d’eau de vaisselle par jour, ça ne pose pas de souci, mais si on n’a pas cet apport, ça risque de consommer pas mal d’eau.

La deuxième question est celle des limaces. Les limaces adorent le compost humide. En mettant au même endroit le sanctuaire des limaces et les laitues, on risque de s’attirer des soucis. Reste à espérer que la butte sera assez diversifiée pour que des carabes et autres prédateurs de limaces s’y sentent chez eux. C’est le premier truc que je surveillerai.

Si ça marche bien, j’en ferai d’autres car c’est bien plus joli que les buttes en parpaings de ciment, j’ai pas mal de pierres avec les travaux de la maison, et j’aurai pas mal de terre à mesure que je creuserai les bassins pour les eaux grises.