Juste en passant, deux petites réflexions à contre-courant de deux opinions de plus en plus répandues :
- la perte des variétés paysannes à un rythme toujours accéléré est-elle synonyme de perte irrémédiable de biodiversité ?
- la contamination des variétés traditionnelles par des variétés génétiquement modifiées détruit-elle irréversiblement le patrimoine traditionnel ou naturel ?
Variétés traditionnelles et biodiversité
De même que les linguistes et les ethnographes déplorent la disparition et l’oubli de nombreuses langues et cultures, de même on voit sans cesse reculer le nombre de variétés de riz, de blé, de courge, etc. Et comme on voit la culture mondiale happée dans le trou noir de l’inculture de masse, on voit aussi l’agriculture aspirée vers quelques variétés de semences qui n’ont de spectaculaire que leur rendement financier et leur réponse aux engrais chimiques.
Et pourtant la diversité des cultures que l’on peut côtoyer voire embrasser n’a cessé de croître. Il y a deux cents ans, mes aïeux connaissaient peut-être dix sortes de danse, une centaines de chansons, autant de contes traditionnels, une manière de faire les paniers, un patois, deux villes, et une vingtaines de dates dans l’histoire de France. Aujourd’hui, le patois a disparu, les danses, les contes et les chansons sont pour la plupart oubliés. Mais à l’école j’ai appris quatre langues et le monde n’est pas prêt de manquer de langues que je puisse les apprendre toutes avant de mourir. Mais j’ai lu des milliers d’histoires, j’ai dans ma discothèque des myriades de chansons. Mais si je ne connais plus la vannerie de mon trisaïeul, je peux sur la toile découvrir au moins dix autres techniques pour faire toutes sortes de paniers, et autant de stages.
Ce que je veux dire, c’est que la mise en communication des niches culturelles conduit à beaucoup d’érosion de diversité au niveau global, mais elle accroît la diversité locale dans d’extraordinaires proportions. Et si l’on cultivait naguère en France plusieurs centaines de variétés de blé, une telle diversité ne s’est jamais vue à l’échelle locale. Pour tout un chacun pris séparément, on avait peut-être deux ou trois blés locaux, autant d’avoines ou de seigles (je l’avoue, c’est une spéculation totale, je n’ai pas fait de recherches).
Ainsi donc, alors même que la diversité globale diminue, la diversité locale augmente par le truchement de la mise en réseau des acteurs isolés. Et quand je vois le catalogue de tomates de chez Kokopelli et le travail du réseau semences paysannes, je pense qu’on est probablement au creux de la vague, et que le pire est passé.
Peut-être que ce qui est vrai des variétés de semences est aussi vrai des écosystèmes, mais là je m’avance un peu…
Contamination OGM et patrimoine
On cite souvent l’exemple du maïs OGM qui a fini par contaminer les variétés traditionnelles de maïs au Mexique, le berceau de cette plante magnifique. Et d’en conclure que tout le maïs est condamné à devenir du poison tôt ou tard, par un dramatique effet domino.
Du haut de ma formation en génétique de l’évolution (niveau bac), moi je dis que de deux choses l’une :
- soit la modification génétique introduite par nos apprentis-sorciers multinationaux confère effectivement un avantage sélectif à la variété contaminée, y compris dans des conditions de culture traditionnelle, voire dans son écosystème naturel si l’on parle de variétés sauvages, auquel cas on peut considérer que Monsanto a effectivement réussi à améliorer l’espèce, et on lui tire notre chapeau ;
- soit – et c’est plus probable, vu que Darwin a eu des millions d’années, tandis que Monsanto n’a eu que des millions de dollars – la modification désavantage les plantes contaminées par rapport à leurs demi-soeurs saines. Par exemple, la production de la toxine BT puise sur le métabolisme de la plante et l’affaiblit par ailleurs. Par exemple, la perturbation de la vie du sol tend à stériliser l’environnement immédiat du plant contaminé et l’expose à d’autres maladies. Par exemple, l’implantation du gène BT à un emplacement inopportun sur la séquence amène la plante à être stérile ou à avoir une descendance monstrueuse. Auquel cas, dès lors que cesse l’apport forcé de pollen transgénique et qu’on laisse faire la sélection naturelle (ou accompagnée par les vieux peones qui savent ce qui fera la bonne tortilla), alors la proportion de plantes contaminées dans la population globale ira en diminuant inexorablement.
Je ne dis pas qu’on peut continuer à cultiver des OGM en plein champ avant de savoir s’ils ont des effets sur le milieu et sur ceux qui les consomment et qui les cultivent. Je pense au contraire qu’heureusement, il n’est pas trop tard pour se battre, et que la cause des variétés traditionnelles de plantes pour lesquelles des variantes transgéniques ont été autorisées n’est pas encore perdue.